Il est trop tard pour une douche... [Takuma]

Shou était sortit de la chambre calmement, il avait traversé le couloir en silence, puis, une fois éloigné des dortoirs, ne se souciant plus du bruit, ne se souciant plus qu’on le surprenne, il se mit à courir, courir le plus vite qu’il pouvait. Un endroit où il serait seul. A cette heure, ce n’était pas dur à trouver. Il tourna dans un couloir, pris la première porte qu’il trouva. Les douches. Parfait. Si ce devait être cela, c’était parfait. Shou avait cessé de courir, il se contente de traversé lentement les rangés de cabines pour allé s’asseoir au fond de l’allé, contre le mur. Au moins, il n’aurait pas de mal à le voir quand ils le retrouveraient. Quand on ouvrait la porte c’était la première chose que l’on voyait, ce jeune homme assis au fond de cette allé, par terre, sur le carrelage glacé et blanc. Il resta un instant sans bouger, puis, lentement, leva la main droite où il tenait la lame glaciale, il ne ferma pas les yeux, il se contenta de fixer son poignet gauche, qu’il avait lentement, très lentement entailler, et les quelques gouttes de sang trop pourpres qui coulait sur sa peau trop blanche. Il retourna sa main, le poignet tourné vers le sol, fixant les gouttes de son propre sang, cette vie qui était sienne et qui lui échappait, étalant ses souvenirs éparses sur le sol trop blanc, trop pur, tâché maintenant par son sang trop sombre, trop sale. Il finit par laisser retomber son poignet sanglant. Il n’y avait plus qu’à attendre maintenant. Attendre en silence. Shou ferma les yeux, laissant apparaître comme d’habitude un visage serein. De loin, comme on ne voyait pas, ou du moins pas encore, le sang qui gouttait lentement sur le carrelage, et qu’on ne voyait pas non plus le couteau que Shou serait encore dans la main droite, on aurait presque pu croire que que Shou s’était simplement endormit, à voir son visage d’ange serein. Presque. Personne ne ce serait endormit dans les douches, même s’il n’était pas sous l’eau, ou enfermé dans une cabine. Ce n’était pas un endroit pour dormir. Surtout quand le dortoir n’était qu’à quelques couloirs de là, c’était ridicule de dormir d’ici. Et il suffisait à présent de faire deux pas, ne serait-ce que deux petits pas, pour apercevoir cette flaque rouge, qui s’étendait peu à peu, bien qu’encore trop petit pour traduire la mort du jeune homme. On aurait en effet presque pu croire qu’il dormait. Mais à quoi bon penser une chose pareille, puisqu’à cette heure de la nuit, personne ne le découvrirait… ?
Je n’ais plus peur, maintenant, Takuma. Tu es loin de moi, j’ai la force, ou plutôt la lâcheté suffisante pour le faire, le faire en silence, sans me plaindre, sans gémir, sans crier, sans pleurer. J’ai ouvert les yeux. Je ne veux pas que si quelqu’un me trouve, il me pense endormit. Je suis conscient de ce que je fais et de ce qu’il est en train de m’arriver. Et je me fiche du reste. Alors, maintenant, je ne veux pas perdre une goutte du spectacle. Même s’il ne se passera rien. Même si je vais juste fixer cette salle jusqu’à ce que je m’endorme, finalement, paisiblement. C’est tout. C’est peut-être un peu trop simple, oui, mais c’est ce qu’il va se passer. Peut-être ais-je encore une chance de devenir un ange ? Moi qui disais ne plus avoir aucun rêve, voilà le seul rêve de ma vie. Être un ange. C’est un concept étrange qu’est celui du rêve. Peut-être que le mien l’est encore plus qu’un autre. Mais tout est bientôt finit, alors pourquoi s’inquiéter, n’est-ce pas ? Je crois que si l’on me demandait de résumer ma vie, là maintenant, pour ces derniers temps je dirais simplement ceci… « Je m’appelle Shou Takahashi. J’ai dix-huit ans. Je suis amoureux. Je vais mourir. »

Courir. Chercher. Ne pas le laisser partir. Shou avait quitté la chambre et Takuma l’avait laissé partir. Trop perdu dans sa haine, trop égoïste, il n’avait pas réagi assez vite. Comment avait-il pu être si… inconscient ? Comment avait-il pu ne pas s’en rendre compte assez vite ? Oh, Shou… Shou, pourquoi veux-tu mettre fin à tes jours ? Est-ce ma faute ? Suis-je donc si égoïste ? Je ne comprends pas, je n’arrive pas à comprendre, je me sens tellement coupable… Pourquoi toi, pourquoi j’ai si peur, Shou, pourquoi j’ai peur de te perdre ? Ne fais pas ça, Shou… ne fais pas de bêtise…
Mais où chercher ? Quel idiot, il n’avait pas réagi assez vite, il n’avait pas pu le suivre… Une porte ouverte. Quelque chose. De la lumière. Porte ? Une porte. Les douches. Evidemment. Takuma n’avait jamais couru aussi vite. Il était exténué, il n’arrivait plus à respirer. Mais était-ce simplement la course effrénée ? Non. Il avait aussi et surtout peur. Peur comme jamais. Son rythme cardiaque s’accéléra d’autant plus lorsqu’il poussa la porte, à peine entrouverte. Il était là. Là, au bout. Assis. Par terre.
Qu’est-ce que je dois penser ? Est-ce que je dois être rassuré que tu sois là ? Non… non, n’est-ce pas ? J’ai peur, Shou… Non… Je ne veux pas… c’était une blague, n’est-ce pas ? Tu n’as pas pu le faire. Tu n’as pas pu essayer de le faire. Tu n’as pas pu essayé de mettre un terme à ta vie. Pas toi. Tu es un être d’exception. Tu ne peux pas. Tu ne peux pas partir.
Takuma avança d’un pas, timide, vers Shou. Il avait peur. Plus que cela, il était totalement terrifié. A l’idée de voir ce qu’il ne voulait pas voir. Jamais il n’avait été aussi mal. Aussi apeuré, comme un enfant, comme un bébé. Le souffle saccadé, il s’approcha encore un peu, murmurant dans un souffle le nom du jeune homme. Shou… pas ça…
Une fois arrivé assez près pour que son regard se pose sur cette flaque rouge, Takuma sentit que son cœur tentait de s’arrêter. Non, non, il ne devait pas faiblir, au contraire, il devait être là, il devait empêcher que la vie de Shou ne finisse par fuir. Mais tout ce qu’il voyait, c’était que Shou allait le quitter. Doucement, Takuma se laissa tomber devant Shou, essayant du mieux qu’il le pouvait de cacher sa peur, essayant d’être doux et rassurant. Il ne voulait pas le perdre. Tout mais pas ça. Il posa sa main sur celle de Shou, lui retirant le couteau, les yeux fixés sur son visage, avant d’y donner un coup pour qu’il aille glisser à l’autre bout de la pièce. C’était une bonne chose de faite.
Puis, il prit le poignet ensanglanté du jeune homme dans sa main, et à la vue de cette chair entaillée, les larmes lui montèrent aux yeux. La culpabilité, le désespoir, la douleur, tous ces sentiments plus horribles les uns que les autres. Doucement, il porta le poignet de Shou à sa bouche, et embrassa la blessure. Cela ne servait à rien, mais il le fit quand même. Les lèvres à présent pleines de sang, il y passa sa langue pour les nettoyer, puis approcha lentement son visage de celui de Shou, déposant avec une extrême délicatesse ses lèvres sur les siennes. Gardant toujours son poignet dans sa main, la blessure vers le haut pour que le sang s’écoule moins vite, il posa son autre main sur le bras droit du jeune homme, puis murmura, toujours très près de son visage :

_Pourquoi tu fais ça… ? Me laisse pas, Shou… onegai shimasu…

Il était presque sur que Shou ne lui répondrait pas. Alors, il l’embrassa de nouveau, avec une délicatesse extrême, il avait peur de le briser, il avait peur de lui faire à nouveau mal, parce qu’il savait qu’il lui avait fait mal. Il savait qu’il l’avait fait souffrir. Et il s’en voulait. Ses yeux étaient emplis de larmes, et pourtant, il n’avait jamais pleuré. Juste cette fois. Juste pour lui.

Des bruits de pas, les yeux de Shou, ouverts, fixés sur cette silhouette tremblante et essoufflé qui s’avançait doucement vers lui. Il sentit qu’on lui retirait son couteau des mains, qu’on l’envoyait voler loin. Il sentit qu’on lui saisissait le poignet, mais le reste tourbillonnait dans sa tête, et pourtant tout cela tournait en un seul et unique mot. Pourquoi ? Pourquoi, tu es venu ? Pourquoi tu m’as suivit ? Je suis si stupide. J’aurais du fermer cette porte, j’aurais du éteindre la lumière. Je t’en prie, ne fait pas ça. Je t’en supplie ne m’embrasse pas. Laisse-moi, Takuma, laisse moi finir comme je dois finir, comme il se doit que je finisse, comme je dois mourir. Je dois mourir Takuma, il en est ainsi, les dés sont jetés, j’ai beau t’aimer, tu auras beau tout dire, tu n’y peux plus rien maintenant. C’est trop tard, seulement, maintenant, es-tu en train de t’en rendre compte ? Le regrettes-tu ? Trop tard. C’est trop tard. Takuma… Te laisser ? Si… C’est obligé maintenant. Je n’ais plus le choix. Mais que faire, maintenant, avec toi, qui es là. C’est trop tard de toute manière. Mon sang coule, déjà, inexorablement. Alors voilà, Takuma. Mais tu le sais, tu peux le comprendre, maintenant, pourquoi je fais ça ? C’est parce que je t’aime. Toi et moi c’est impossible. Nous n’appartenons pas au même monde. Toi et moi ne sera jamais possible. Regarde-nous, nous serions ridicule, tous les deux, ensemble. Moi qui ne parle à personnes, toi qui déteste tout le monde… je t’aime, inexplicablement, oui, mais tout cela est impossible, d’autant que toi, Takuma, tu ne sais pas ce qu’est l’amour. Comment quelqu’un qui ignore ce qu’est l’amour pourrait aimer quelqu’un d’autre ? Tu es aussi inhumain, que moi je suis humain. Mais c’est horrible, c’est affreux de dire que je vois ces larmes dans tes yeux, que je vois ces larmes et que jamais, jamais Takuma Sôma n’a été si humain. Je ne connaît rien de toi, rien de ta vie avant moi, mais je sais, je vois dans tes yeux, des yeux que je ne peux m’empêcher de trouver si beau, même en cet instant, que tu n’as jamais agis comme ça, avec qui que ce soit, que tu est là, maintenant, et que même petit, même encore enfant, sans doute n’as-tu jamais réagit de tel façon. Mais pourquoi pour moi ? Ne pouvais-tu pas en trouver un autre ? C’était si simple pourtant, de m’oublier et d’en prendre un autre… Pourquoi ne l’as-tu pas fait Takuma ? Comment aurais-je assez de courage, maintenant ? Mais je dois le faire, Takuma. Je vais le faire. Pour toi. Pour moi. Pour nous.

_ Je vais devenir un ange… Takuma…

Et voilà mon seul souhait. Je sais, que je n’ais pas parler fort, mais je sais que tu l’as entendu aussi bien que moi. Le début de la phrase, en elle, n’a aucune importance, mais la fin… Tu le sais, tu le sais comme moi. Dès que nous nous sommes rencontrés. La première fois que l’on s’est vu, tu as prononcé mon nom. Je me souviens encore de tes mots. Des mots qui m’ont terrifié en cet instant. Mais moi, moi je n’ais jamais rien dit. Je t’ais parlé, un peu. Mais jamais, jamais je n’ais prononcé ton nom. Alors voilà, maintenant je l’ais fait. Je suis heureux, je n’aurais pas de regrets. Je l’aurais fait au moins une fois. Ton prénom… C’était comme un mot tabou, quelque chose que l’on veut taire, que l’on n’ose pas prononcer. Mais après tout, qu’est-ce que cela change, que je l’ais dit maintenant ? Je m’appelle Shou Takahashi. J’ai dix-huit ans. Je suis amoureux. Je vais mourir.

Mais tu es déjà un ange, Shou, tu n’as pas besoin de cela. Reste juste avec moi. Même si c’est impossible. On se débrouillera. Ne me dit pas que tu n’as pas envie de rester. Ne me dit pas que maintenant, maintenant que je suis là, tu ne veux pas rester. J’ai peur pour toi. Je ne veux pas te perdre. J’ai besoin de toi, je ne peux plus faire sans toi maintenant, tu fais partie de ma vie, tu n’as pas le droit d’en sortir si facilement. C’est égoïste. Je me rattraperais, de tout ce que je t’ai fait subir, mais ne me laisse pas maintenant. Juste au moment où je commence à comprendre. Je ne veux pas que tu partes. J’ai décidé de te voir sourire. J’ai décidé de te voir heureux. Avec ou sans moi, mais heureux.
Si tu savais. Mon prénom n’a jamais aussi bien sonné que dans ta bouche. Et pourtant, l’entendre n’a jamais été aussi douloureux. C’est comme si c’était la dernière fois que je l’entendais. Je refuse. Je refuse que tu me le dises pour la première et dernière fois. Je veux que tu restes, tu entends ? Non, tu n’entends pas. Parce que je n’arrive pas à te le dire. Ma gorge est trop nouée pour que j’y parvienne. Tout ce que j’arrive à faire, c’est laisser les larmes couler. J’ai mal. J’ai aussi mal que si c’était moi qui m’étais entaillé. J’ai plus mal encore. Si tu meurs, Shou, je meurs avec toi.
Incapable de dire quoique ce soit, Takuma se contenta de l’embrasser à nouveau, tendrement, puis laissa échapper un sanglot. Il ne pouvait pas le perdre. C’était impossible. Il n’avait rien sous la main pour stopper l’hémorragie, il se sentait démuni, inutile, il ne savait pas comment s’en sortir, comment garder Shou. D’une voix implorante, il murmura :

_Tu es un ange… reste avec moi…

Takuma se releva, après une seconde d’hésitation, puis ouvrit à la volée chacune des cabines, cherchant un miracle, quelqu’un qui aurait oublié quelque chose, quelque chose pour servir de garrot. Un miracle. Une serviette là, par terre, dans la dernière douche, Dieu merci. Il la ramassa, puis revint rapidement près de Shou, et déchira un lambeau assez large de la serviette, pour la nouer fort juste au-dessus de la blessure, puis noua le second morceau avec délicatesse sur la blessure. Puis, il glissa l’une de ses mains dans le cou du jeune homme, et observa son visage, trop blanc. Il était tellement beau. Et pourtant, tellement fragile. Il caressa de son pouce la nuque de Shou, puis posa son autre main sur son épaule, et l’embrassa de nouveau. Il ne savait pas quoi faire d’autre. Il ne savait pas comment lui prouver à quel point il avait besoin de lui, à quel point… à quel point il l’aimait. C’était sans doute cela, ce qu’il ne comprenait pas, c’était sans doute ce sentiment qu’il n’avait jamais ressenti. Sinon, pourquoi avait-il si peur, pourquoi pleurait-il, pourquoi souffrait-il tellement de cet acte ? Il aurait aimé le lui dire. Mais il en était incapable. Pour le moment. Il ne savait pas le dire.

Shou se laissa faire, encore bien qu’il n’en pouvait plus. Je dois partir Takuma, ne m’en empêche pas je t’en prie, ne fais plus rien pour m’en empêcher, tes larmes valent toutes celles du monde. Je ne sais pas ce que tu ressens, je ne sais pas s’il y a des choses que tu veux me dire et que tu n’arrives pas à dire. Il est trop tard et c’est seulement çà ce moment précis que tu décides de comprendre, que tu décides de te dire que peut-être, peut-être suis-je quelqu’un. Tu sais qui je suis. Et je dois mourir, non ? Peux-tu le comprendre Takuma ? Pourquoi n’es-tu pas resté dans la chambre ? Pourquoi n’as-tu pas voulut dormir ? Pourquoi n’as-tu pas décidé de me haïr et de me laisser disparaître ? C’était si simple, pourtant. Tu aurais pu faire comme tout le monde et ignorer ma présence, ignorer que j’étais là, faire comme si je n’existais pas. C’était si simple, Takuma, si simple. Un jeu d’enfant, et pourtant, toi tu es venu. Pourquoi ? Etait-ce pour t’assurer que mon cœur était bel et bien déchiré, déchiré de devoir mourir pour elle, alors que je voudrais tant vivre pour toi ? Il faut que je te le dise Takuma. Cela nous détruit encore… regarde-toi ! Jamais tu n’as pleuré, jamais tu n’as ressentit des choses pareilles. Pourquoi ne pas faire comme toujours ? Pourquoi ne pas fuir et ne te soucier que de toi-même ? C’est tellement plus simple, et tu serais tellement plus heureux, si tu n’avais jamais croisé ma route. Et as-tu oublié, Takuma ? As-tu oublié que je t’ais tromper, moi, Shou ? Ce suçon, dans mon cou, on le voit encore, on le voit même encore mieux, maintenant que je suis plus pâle. Tu n’aurais pas du nouer ce lambeau de serviette autour de mon poignet. Je vais l’enlever Takuma, je vais juste te demander de me laisser faire, tu verras, tu seras triste, comme je l’ais été à mes quinze ans, et puis ça passera. Le vice qui régit ta vie reprendra le dessus, tu continueras comme avant, tu en trouveras un autre et tu m’oublieras, je t’assure. C’est plus simple, et ce sera tellement moins douloureux. C’est plus facile d’oublier que d’aimer. Et même en ce moment, je ne suis pas sûr que tu m’aimes. Et je ne veux pas le savoir, je ne veux pas que tu me le dises, sans doute n’en serais-je plus capable, ensuite. Je vais m’en aller et enfin sourire de bonheur, quand je serais partit. Mais je ne t’oublierais jamais Takuma. Jamais. Tu seras l’unique homme dont je sois tombé amoureux. L’unique homme que j’ai aimé au point d’en mourir.
Shou regarda Takuma, avec un étrange sourire aux lèvres et défit ce lambeau de serviette déjà imbibé de sang, laissant aller son poignet vers le bas, pour que le sang coule.

_Va-t-en et vis heureux. Dit-toi juste que je t’aime.

Voilà, Takuma, c’est dit. J’ai dit ton prénom, une fois, j’était heureux, je t’ais dit que je t’aimais, je suis heureux. Je suis heureux mais triste de te quitter. C’est ainsi Takuma, rien n’y fait, tu n’y peux rien. Promets-moi juste, je t’en prie, de vivre heureux sans moi. Tu verras, tu y arriveras. J’ai confiance. J’ai confiance en toi.

Encore une fois Takuma tu es inutile… Tu ne peux pas l’empêcher de mourir… Si. Si, je le peux, si, je peux l’empêcher de mourir, je peux l’empêcher de mener son projet à bien. Je veux qu’il reste. Je ne lui laisse pas le choix. Je veux qu’il reste avec moi. Je ne lui ferais plus de mal. Je le rendrais heureux. J’ai envie de le rendre heureux. Comme lui le fait. Parce que même si ce n’est rien, moi, je n’ai jamais ressenti quelque chose de tel en me trouvant avec quelqu’un. Je ne veux pas le perdre. Je mourrais si je le perdais. C’est bien ce que je disais, tu t’attendris. Non. Je n’appelle pas ça s’attendrir. Comment tu appelles cela, alors ? Je ne sais pas. Je ne veux pas le savoir. Je veux juste le garder. Je ne veux pas qu’il me laisse. Je crois… je ne sais pas ce que je crois.
Remarquant que Shou avait défait le garrot, Takuma serra les dents. Avec beaucoup moins de douceur, tiraillé par la peur, il reprit le poignet de Shou, et y noua à nouveau la serviette, serrant plus fort cette fois-ci. Puis, il prit le visage du jeune homme entre ses mains, repassant dans sa tête la phrase qu’il venait d’entendre, et qui lui semblait si irréelle. Son cœur battait cent fois trop vite, alors que celui de Shou battait cent fois trop lentement. Les larmes coulaient le long de ses joues, ses yeux le brûlaient, il avait peur, il avait mal, il ne pouvait pas le laisser partir, pas comme ça. Et ce qu’il disait, son abattement, tout cela en plus de l’attrister et de lui faire un mal de chien l’énervait. Parce Shou ne comprenait pas. Parce qu’il ne voulait pas comprendre.

_Arrête tes gamineries, Shou !!! T’as passé l’age des caprices !! Et moi, je… je t’aime…

Ces derniers mots, il les avait prononcés à voix basse, très basse, contrairement au début de sa phrase, qu’il avait presque crié. Comme s’il était énervé. Mais il avait surtout peur. Il ne savait pas si Shou allait croire à ses mots, qui pourtant n’avaient jamais été aussi vrais, il ne savait pas comment lui faire comprendre, il ne savait pas quoi faire. Ce n’était pas à Shou qu’il en voulait. C’était à lui-même. Il s’en voulait de ne rien pouvoir faire.
Oui, parfaitement, Takuma, tu es inutile… Il va mourir, là, devant toi, dans tes bras, tu vas le voir mourir, et tu en es responsable. C’est à cause de toi. Si tu l’avais aimé avant, il ne l’aurait pas fait. Mais toi, tu attends e moment pour le lui dire. Mais je ne savais pas… je ne savais pas que je… Que tu l’aimais ? Je ne savais pas, je te le jure. Si je l’avais su, si j’avais deviné à quel point il était mal, j’aurais fait quelque chose, si tu savais comme j’ai peur, si tu savais comme j’aimerais que cela ne soit qu’un cauchemar… cela ne peut pas être vrai, ce n’est qu’un cauchemar, n’est-ce pas ? Il n’a pas fait ça. S’il m’aime comme il le dit, il n’a pas pu le faire. C’est trop idiot. Pas maintenant. Pas maintenant, Shou…

Toutes mes illusions, tous mes rêves, moi qui me voyait déjà un être un ange, moi qui vengeait ma mère, moi qui retrouvait ma mère, moi qui était heureux… Tous mes beaux espoirs, tout ça, ça vient de partir en fumée. Pourquoi, Takuma, pourquoi ? Parce que tu viens de dire que tu m’aimais. Tu s content, Takuma ? Maintenant, même moi, je suis incapable de le faire. Avec toute la volonté que j’avais, je le voulais tellement, réellement. Mais voilà, tout cela n’est plus possible, Takuma, parce que tu m’as dit que tu m’aimais. C’était si simple ami tellement dur à la fois. C’est la première fois que je me sens comme ça. Mais c’est aussi la première fois que je me suis ouvert les veines. Takuma, tu es le responsable de tout ce qui va suivre, sans doute. Tu sais ce que tu as à faire si tu ne veux pas que cela recommence, n’est-ce pas ? Il faut que tu me rendes heureux, qu’on soit heureux tous les deux. Est-ce possible Takuma ? Pourras-tu oublier, pour moi, cet ego démesuré et ce vice qui régit ta vie, encore et toujours, pourras-tu le faire pour moi ? Je ne le sais même pas, et me voilà impuissant qui pleure. On est quitte, au moins tu as pleuré, j’ai pleuré. J’ai souffert, tu as souffert. Autant que moi ? Toi seul pourrais le dire. Je ne crois pas vouloir le savoir. Je veux juste que l’on soit ensemble, maintenant, puisque je ne suis plus capable de mourir. Voilà, c’est tout. Ta phrase était tellement étrange. Tu as crié parce que tu étais énervé ou parce que tu avais peur ? Moi aussi j’ai peur, maintenant que je ne veux plus mourir. Sauve-moi, Takuma, sauve-nous…
Shou s’était mit à pleurer, à pleurer comme jamais, peut-être au moins autant que Takuma. Il se laissa tomber dans les bras du jeune homme. Son bandage qui lui avait été remis était imbibé de sang et tachait les vêtements de Takuma, mais Shou pleurait tellement, qu’il était incapable de voir quoique ce soit d’autre que ces larmes qui lui embuaient les yeux. Il se serrait contre Takuma, il n’avait plus envie de mourir, il voulait juste être avec lui maintenant. C’était si simple, Takuma, y crois-tu à présent ? Moi j’ai peine à le croire, mais pour une fois que je n’ais à m’illusionner de rien, je profite, je profite de tout, je profite de toi, de toi qui m’appartient. Je crois qu’au fond de toi tu le sais, Takuma, que ce n’était pas une histoire de gamin et que je voulais mourir. Mais qu’importe à présent, nous sommes, là, nous sommes ensemble, je ne veux rien de plus.

_Takuma… Takuma…

Voilà tout ce que je suis capable de dire. Mais je veux le dire encore, entre deux sanglots, encore des millions et des millions de fois, le dire et le dire, encore et encore. Pour croire, croire que c’est bien toi, que c’est bien nous, que nous sommes-là. Comme si tout cela était faux et que je devais m’en convaincre. Tu es encore tout tâché de mon sang, tu pleures, tu as les yeux rouges et pourtant dans mes bras tremblants, tu es plus beau que jamais encore. Sauve-moi Takuma. Sauve-moi…

Nous serons heureux. Nous le serons, Shou, je te le promets, parce que maintenant, tu me l’as dit, je te l’ai dit. J’oublierais tout. Tout sauf toi. Tout pour toi. J’aurais des sacrifices à faire. Toi aussi. Mais on le fera. J’ai trop peur de te perdre. Il a fallut que tu attentes à ta vie pour que je m’en rende compte, mais j’ai trop peur de te perdre à présent. Je t’aime. C’est tellement simple, Shou, et tellement compliqué à la fois, c’est tellement beau et tellement douloureux. Mais je ferais avec cette douleur. Parce que je sais qu’être avec toi m’aidera. Parce que pour une fois je ne serais pas seul. Je n’ai jamais cherché à aimer qui que ce soit, je n’ai jamais cherché la compagnie de quiconque, mais tu t’impose comme la seule personne avec qui je veuille être.
Lorsque Shou se jeta dans ses bras, Takuma le serra contre lui plus fort qu’il ne l’avait jamais fait. Comme pour empêcher sa vie de partir. Comme pour l’empêcher de mourir. Il n’allait pas mourir. Il ne pouvait pas mourir. Pas maintenant. Maintenant que tout était clair. Caressant doucement le dos de Shou, sans cesser de le serrer aussi fort dans ses bras, Takuma essaya de ravaler ses larmes, il devait être fort. Des deux, c’était à lui d’être le plus fort. Pour que Shou se sente bien. Pour qu’il puisse… exprimer ce qu’il ressentait, parce qu’il savait qu’il en avait besoin. Il le sentait. Et il voulait que Shou se sente bien avec lui. Il voulait qu’il lui parle. Qu’il lui parle de tout. Il voulait voir son sourire. En clair, il voulait juste le voir heureux. Et pouvoir encore et encore l’embrasser, le prendre dans ses bras, le caresser… Il embrassa doucement la chevelure de Shou, le serrant encore un peu plus contre lui.
Encore plus. Je suis là. Pour toi. Je suis là pour te protéger, pour te sauver, je suis là pour que tu sois heureux. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas comment, mais je trouverais, et je sais que je ne te laisserais pas mourir. Tu es unique. Tu es toi. Et c’est pour cela que je ne veux pas que tu te fasses du mal. A cause de moi.

_Ca va aller… je suis là, Shou…

C’était tellement idiot. Tellement idiot à dire, mais à la fois, c’était tellement vrai. C’était tellement sincère que Takuma ne se reconnaissait presque pas. Shou devait juste se calmer. Il ne craignait rien. Le sang coulait encore, mais pas assez. Il allait être faible, c’est sur. Mais il allait être là, vivant, bien avec lui. Et Takuma veillerait sur lui. Simplement, il voulait juste qu’il se calme, c’était mieux pour lui. Pour eux. Il desserra un peu son étreinte, ne sachant pas s’il lui avait fait mal en le serrant trop fort, caressant son dos, lui murmurant quelques mots se résumant à « calme-toi maintenant, tout va bien aller ». Il voulait s’en convaincre, et l’en convaincre. C’était tellement irréel, et à la fois, tellement beau. Beau en ce sens que Takuma n’en aurait jamais même rêvé, et qu’il savait qu’il ne revivrait jamais quelque chose de tel avec qui que ce soit d’autre. C’était lui, et pas un autre.

Shou comment as-tu pu faire ça ? C’est affreux, tu as essayé de mourir, alors même qu’il était là et qu’il tentait de t’en empêcher, tu as persévéré, tu as tenté de mourir, sous ses yeux, alors qu’il pleurait. Tu as essayé de mourir, alors qu’il était là, et pour la première fois plus vrai que jamais. Tu pensais que tout était de sa faute, et voilà que tu te sens plus responsable que jamais, alors que tu pleures dans ses bras. Shou, comment as-tu pu prétendre que c’était toi qui souffrait le plus ? Ne crois-tu pas que tu lui as fait plus de mal qu’à toi-même, en t’ouvrant les veines ? Et comment faire maintenant, pour qu’il ne t’en veuille pas ? Crois-tu que l’aimer pourrait suffire ? Tu avais raison, affreusement raison. Tu ne devrais pas rester, ne serait-ce que pour lui. La culpabilité le ronge, il pleure encore, même s’il essaye de le cacher désespérément. Maintenant, chaque nuit, il voudra être là, être là pour savoir si tu vas bien, pour savoir si tu ne vas pas encore le faire. Tu pensais que c’était de sa faute, Shou, mais tout est de ta faute. Tu es le seul et unique responsable Shou. Tu es l’erreur de l’histoire, celui qui le fera souffrir et se tourmenter. C’est terrible, Shou. Maintenant, dès qu’il effleurera ton poignet, et qu’il sentira cette cicatrice, que pensera-t-il ? Songera-t-il à ce jour comme celui où il s’est aperçu qu’il t’aimait et l’a dit pour la première fois, ou comme le jour ou il a pleurer, pleurer pour la première fois, tant il avait peur de te perdre et tant il se sentait coupable ? C’est affreux, Shou, c’est abominable, c’est égoïste et sale, c’est toi. Tout est de ta faute, absolument tout, tu t’en rends bien compte, non ? Dois-je être heureux, ou plus triste encore ? Plus triste encore pour ce que je viens de lui faire, pour ce que je lui ferais encore ? Moi qui me croyais le seul à souffrir, moi qui disait qu’il était égoïste et cruel. N’étais-je pas en train de me regarder moi-même, sans le savoir. Je ne suis pas mieux que lui. Je ne suis pas mieux que Fujiwara. En vérité je suis pire. Je me déteste. Je n’ais pas venger ma mère et je n’ais pas su la rejoindre, je n’ais pas su devenir un ange. C’est encore plus lâche, encore bien plus lâche que ce que je pensais. C’est moi. Je me déteste. Je me hais, et pourtant je suis là. Ce n’est même pas pour moi, c’est pour lui. Pour ne pas qu’il souffre encore plus. Mais est-ce possible ? Si je reste, il souffrira de toute façon, et si je pars aussi. Mais maintenant, je n’ais plus le courage de partir. C’est à cause de lui ? Ou grâce à lui ? Je ne saurais le dire, tout ce que je sais c’est que je l’aime, au moins autant que je me hais, ce qui n’est pas peu dire. Pourrais-je jamais le rendre heureux ? Serais-je heureux, moi un jour ? Serons-nous heureux ensemble ? Saura-t-il m’aimer vraiment ? Takuma je veux être heureux avec toi, je sais que ce seras dur, je ne sais pas comment nous allons faire pour y parvenir, mais nous y parviendrons, à force de persévérance, nous y parviendrons, je le jure, je te le promet même. Mais avant cela, sans doute me reste-t-il encore une chose à faire…

_ Pardon… Takuma…

Je pleure tellement de ce que je t’ais fait et de ce que je te ferais encore que je ne sais même pas si tu as compris ce que j’ai dit. Et quand bien même, les mots sont tellement faibles. Même mes actes, chacun de mes actes serait incapable de me faire pardonner. Que faire pour me faire pardonner, Takuma ? J’en ais trop fait, bien trop fait, et je m’en rend compte. Je revois chaque instant dans ma tête, et c’est comme si on m’enlevait toute chance d’être heureux un jour, tant je me rend compte que j’ai été odieux, parfaitement ignoble avec toi. Oui, je suis encore un gamin, c’est comme si des années et des années nous séparait, alors que tu dois avoir à peine un an de plus que moi… Je me hais Takuma, je me hais pour ce que je t’ais fais et te ferais sans doute encore, je suis une erreur, je ne sais pas pourquoi tu m’aimes, et pourtant je ne veux que ton bonheur… C’est abject. Parfaitement. C’est moi. Et si maintenant, en cette instant on me demandait de résumé ma vie, je dirais : « Je m’appelle Shou Takahashi. J’ai dix-huit ans. Je suis amoureux de lui. » Et c’est tout.

Ta faute ? Non, Shou… si je m’étais rendu compte avant du mal que je te faisais, tout cela ne serait pas arrivé. C’est malheureux à dire, mais il a fallut que tu le fasses pour m’ouvrir les yeux. J’étais aveugle. Je ne voyais pas à quel point tu souffrais de mes actes. A quel point tu souffrais parce que je ne prêtais attention qu’à ton corps. C’est vrai, je ne voyais pas plus loin. Je ne voulais pas voir plus loin. Je ne voulais pas m’attacher à toi, mais je n’y suis pas parvenu. Et en même temps, c’est mieux ainsi. C’est mieux que je me sois quand même attaché à toi. Plus qu’il ne le faudrait, au point de pouvoir mourir pour toi, comme tu as voulu mourir à cause de moi. Je ne sais pas si je dois le considérer comme une chance ou comme une grande erreur. Cet acte que tu viens de faire, si horrible soit-il, nous a permis de nous rapprocher. Il m’a permis de me rendre réellement compte de ce qui importait. Toi. C’est toi qui importe, toi, et personne d’autre, et rien d’autre. Tout ce que je veux, c’est être avec toi. Que nous soyons ensembles. Jusqu’à ce que l’un de nous deux soit trop fatigué de la vie. Mais pas maintenant. Jamais. Nous serons à jamais ensembles. Quoiqu’en pense les autres. Quoiqu’il puisse se passer. Je ne laisserais jamais personne nous séparer, je ne laisserais jamais personne te faire du mal. Plus maintenant. Tu vas devoir me supporter, je ferais des efforts, tous les efforts dont je sois capable, mais tu vas devoir me supporter.
Malgré la douleur, malgré la peur, malgré la culpabilité, Takuma ne s’était jamais senti aussi bien. Shou était là. Dans ses bras. Il pleurait contre lui mais Takuma n’était plus triste, et il voulait que Shou se sente comme lui : bien. Bien parce qu’ils étaient ensembles. Parce qu’ils avaient fini par avouer. Par laisser sortir tout ce qu’ils avaient refusé de laisser sortir auparavant. Et parce que c’était beau. Rien que ça. Malgré le sang, malgré les pleurs. En entendant les excuses de Shou, Takuma resserra de nouveau son étreinte et un léger sourire apparu au coin de ses lèvres. « Pardon ». Tellement inutile. Tellement inadapté. Il n’avait pas à s’excuser. Parce qu’il n’avait rien fait qui n’avait pas de raison. Parce que ce n’était pas sa faute. Au fond ce n’était que la faute de l’égoïsme de Takuma. De toutes évidences, il le serait toujours. Egoïste, narcissique, cruel. Mais il avait découvert une partie de lui qu’il n’avait jamais connue, et cette partie de lui était uniquement réservée à Shou.

_Ne dis rien…

Ne dis rien, petit ange. Ne dis pas ces choses inutiles, ces choses que tu n’as pas à dire. Tu ne parles pas beaucoup, je ne veux pas que tu le fasses pour demander pardon pour quelque chose qui ne le nécessite pas. Je sais que je devrais te dire que c’est à moi te de demander pardon. Mais je ne le ferais pas. Je n’ai pas la force de le dire. Parce que je suis trop fier. Mais tu sais, n’est-ce pas, que je t’aime. Je te l’ai dit. Une fois, mais je te l’ai dit. Et j’essaierais de te le prouver. Même si je ne fais jamais ce que tu attends de moi, même si je ne le ferais jamais au bon moment. Tu sais maintenant, et c’est tout ce qui importe. Si un jour il te vient à l’idée de penser que je ne t’aime pas, j’espère que tu te rappelleras de cette nuit. De cette première nuit où je t’ai serré si fort dans mes bras, de cette première nuit où je t’ai dit que je t’aimais. De cette nuit.

C’est étrange, Takuma. Je me sens encore saigner. Saigner encore et toujours. Je sais que cela va s’arrêter bientôt, mais ça me fait encore mal. Et pourtant je suis si bien dans tes bras. C’est tellement paradoxal, c’est tellement étrange. J’ai saigné sur toi. Je veux que tu jettes ce vêtement, il est tâché de mon sang, il est tâché de mon erreur. Il ne servira plus à rien, à présent. C’est ridicule, oui, sans doute. Ce n’est rien comparé à ce que j’ai fait. Mais je veux quand même que tu la jettes. Parce que, même si je sais que ces souvenirs resteront gravés dans ta mémoire, je ne veux pas qu’il en reste des traces matérielles, même si je sais que cette cicatrice que je vais avoir en restera la preuve formelle. Mais tu sais, moi je veux juste que tu me pardonnes. Même si je ne dois rien dire, je veux juste que tu me pardonnes. Mais cela sera-t-il possible un jour ? je sais qu’il y aura des épreuves, des tas d’épreuves, je sais que je vais souffrir encore, que tu vas souffrir encore, mais nous souffrirons, ensemble, ça je le promet. Ensemble. Toujours ensemble. Et le reste importe peu. Je sais que je vais changer pour toi. Peut-être que ce sera lent, long et douloureux, mais je sais que je peux le faire, je sais que je peux réussir à parler, je sais que je peux réussir à rire, je sais que je peux le faire si c’est pour toi. Mais je sais aussi, que les miracles sont longs à accomplir. Alors peut-être vais-je m’ouvrir un peu plus aux autres, mais pas tant que cela, en faite. Mais au moins avec toi, au moins pour toi. Toi aussi, je sais que tu vas changer. Tes larmes, tes gestes, tes mots en sont déjà la preuve. Moi aussi j’ai parlé. Parce que je devais parler, je devais m’excuser. Combien de fois aurais-je à m’excuser pour ce que je t’ais fait et ferais encore ? Je n’en sais rien. Je ne veux pas le savoir. Je veux juste fermer les yeux, te sentir là, contre moi et savoir que tout va bien, tout vas tellement bien quand je suis avec toi. Je ne sais pas comment te dire que je t’aime, ou comment te dire à quel point je t’aime. Mes actes te le feront peut-être comprendre. J’espère. Et toi aussi, je sais que tu essaieras de me le montrer ; De façon maladroite, au début sans doute, mais peut-être au moins arriveras-tu à me faire rire. Ce serait le plus beau Takuma. Et ton rire Takuma ? Et ton sourire ? Un sourire franc, doux et beau. Je le verrais un jour, dit ? Tu me promets de me le montrer un jour, au moins une fois, dit ? Ce serait la plus beau, Takuma. Le plus de tout, le plus beau que tu puisses m’offrir. Le plus vrai. Mais ce n’est sans doute pas si facile. Je suis bien placé pour le savoir, Takuma. Oui, vraiment bien placé…
Shou se décolla tout doucement de Takuma. Il posa son front contre le sien, regardant ses yeux, ses yeux pourtant si beaux, rougis pas les larmes brûlantes qu’il avait versé pour lui. Passant outre son immense culpabilité, Shou eut un… sourire. Un vrai sourire, un beau sourire, un sourire terriblement franc, terriblement vrai, un sourire que si sa grand-mère l’avait vu, elle en aurait pleuré. Un beau sourire. Son premier sourire depuis trois ans. Pour lui.

_ Je suis heureux Takuma.

Voilà Takuma, c’est mon premier sourire depuis trois ans, le premier sourire que je fais depuis qu’elle n’est plus là, le premier sourire qui ne lui est pas adressé, qui n’est adressé qu’à toi, rien qu’à toi. Et Takuma. C’est la première fois que je dis que je suis heureux. C’est la première fois que je pense que je suis véritablement heureux. Là, devant toi, avec le sang par terre, le sang sur tes vêtements, les sang sur mes vêtements, mon poignet qui me fait mal, mes yeux rouges et les tiens, les larmes séchés sur mes joues, les larmes séchés sur les tiennes, ton regard trop beau et mon premier sourire. Je t’aime, Takuma.

Heureux. Pour tout te dire je ne crois pas savoir de quoi il s’agit. Mais à voir à quel point tu es beau avec ce sourire, à voir à quel point tu es beau là maintenant en disant que tu es heureux, alors ce ne peut-être que quelque chose de bien. Alors il ne m’en faut pas plus pour l’être aussi. Pas plus que ton sourire. Parce que c’est quelque chose de rare, c’est quelque chose de beau, c’est quelque chose qui m’appartient. C’est quelque chose que je prends comme le plus présent que l’on ne m’ait jamais fait. Et si tu savais, comme je suis fier, comme je suis touché que ce sourire me soit destiné. Shou. Maintenant plus rien ne sera comme avant, tu le sais autant que je le sais. Malgré la difficulté, ce sourire, je le verrais encore. Je saurais te faire sourire, je saurais te faire rire, je saurais faire apparaître dans tes beaux yeux cette lueur que tu as, maintenant.
Alors, sans rien dire, sans sourire parce qu’il était intimement persuadé d’être incapable de sourire sans que sur son visage n’apparaisse la folie qui le tenait, Takuma pris l’une des mains de Shou dans la sienne, et remonta son autre main jusqu’à sa nuque, perdant son regard dans le sien. Pour une fois, ses yeux, en plus d’être si superbe, ne reflétaient aucune tristesse. Aucune détresse, aucune peur. Rien de tout cela. Juste quelque chose que Takuma ne connaissait pas, mais qui ne pouvait être que bon. Puis, il ferma les yeux, quelques instants, malgré la brûlure que cela lui provoqua, et les rouvrit quelques secondes plus tard alors que de nouveau ce même léger sourire apparaissait sur ses lèvres, si léger qu’il en était difficile à remarquer. Il embrassa de nouveau Shou, doucement, tendrement, comme une façon pour lui de sceller toutes ces paroles qui pour d’autres n’avaient sans doute pas la moindre importance, mais qui pour lui constituaient la plus belle chose au monde. Ce n’étaient pas des mots. Pas pour lui. Pas pour Shou non plus, sans doute. C’était bien plus. Tout comme ce baiser. Il n’avait rien à voir avec les baisers passionnés que Takuma lui avait donnés lorsqu’il prenait son corps, il n’avait rien à voir avec tout le reste. C’était le premier véritable baiser d’amour que Takuma donnait. Pour certains cela ne voulait rien dire. Mais pour lui, cela voulait tout dire. Rien n’était plus comme avant. Il n’était plus seul. Il avait Shou à présent. Et c’était ce qu’il possédait de plus beau et de plus précieux. Mettant lentement fin au baiser, Takuma, les yeux fermés, murmura :

_Ne me refais plus jamais ça…

Tellement égoïste et beau à la fois. « Ne ME refais plus jamais ça ». Takuma se fichait des autres. Mais à présent, il pensait non seulement à lui mais à quelqu’un d’autre. A une seule personne. Une personne que plus personne n’avait le droit de toucher, de faire souffrir. Shou était à lui. Shou était son trésor à lui, le gardien de son cœur, que personne n’avait le droit de toucher ou meme de regarder trop longtemps. C’était son privilège. A lui. Cet amour était leur privilège, à eux. Et à personne d’autre.

Ce baiser Takuma, aurais-je pu prétendre jamais en rêver ? Ce baiser Takuma, je n’aurais même pas pu me l’imaginer en rêve, même pas pu concevoir que tu puisses le donner un jour. A n’importe qui. Mais encore moins à moi. C’est trop beau pour être vrai, c’est mieux que quand tu dis mon nom, c’est mieux que quand tu as dit que tu m’aimais. Si mon poignet ne me faisait pas si mal, si cette douleur ne me ferait pas comprendre que tout est vrai, je n’y croirais pas. J’avais arrêté de croire en moi, Takuma. Je n’avais jamais cru en toi. Je n’avais jamais imaginé de « nous ». Est-ce un rêve ? Le rêve le plus réaliste, le plus beau, que je pourrais avoir ? Un rêve qui, quand je me réveillerais, s’avèrerait être le rêve le plus douloureux qui soit ? Takuma, je t’en prie, fait en sorte que je ne me réveille pas. Fait en sorte que je continue de rêver. Tu sais parfaitement dans quoi tu viens de t’engager, aussi bien que moi, tu sais parfaitement que ce sera dur et douloureux. Tu sais parfaitement que te voir dans les bras d’un autre me déchirerais le cœur, aussi sûrement que si je m’étais planté ce couteau qui est à présent à l’autre bout de la pièce, dans la poitrine. Tu en es conscient, tu sais ce qu’il ne faudra pas faire, tu sais qu’il faudra qu’on fasse des efforts tous les deux, tu sais que peut-être on se disputera, tu sais que peut-être, ne serait-ce qu’une fraction de secondes tu me détesteras, tu sais à quel point l’amour est proche de la haine. Tu sais à quel point tout cela sera dur, mais je sais que tu peux le faire, que nous pouvons le faire et que nous le ferons. Je ne veux plus rester ici, Takuma. J’ai peur. Sers-moi fort, je t’en prie, je ne veux plus avoir peur. Plus jamais je ne veux avoir peur de toi. Mais c’est affreux, je crois que ça pourrait m’arriver, c’est horrible. Je voudrais pouvoir prétendre être la seule personne à qui Takuma Sôma ne fait pas peur, et ne fera plus jamais peur. C’est un défi dur à relever. J’en suis conscient. Je crois que tu devras faire de ton mieux. Il y a toujours ce côté sombre en toi, je sais que ce que j’en ais vu n’étais qu’une infime partie. Cette autre partie de toi me fait peur. Je sais qu’avec les autres tu resteras comme d’habitude, comme toujours. Mais avec moi, je t’en prie… Je ne veux pas que tu sois énervé après moi, je ne veux pas t’aimer dans la peur. Je veux t’aimer et que ce soit beau, que tout soit beau, étonnement beau. Moi aussi, je sais que certaines choses ne pourront pas être belles, malgré tout. Il y a encore Fujiwara. Mais je ne veux pas y penser. Je ne sais pas si j’aurais un jour le courage de le revoir et de lui dire tout ce que j’ai à lui dire. Je ne suis pas un garçon courageux. Je suis juste lâche.
Cela fait à peine quelques minutes, Takuma, et tu deviens déjà possessif. Ca me fait sourire, c’est tellement adorable, c’est tellement trop toi. Je peux le refaire à un autre qu’à toi, alors ? Tu te fiches des autres n’est-ce pas ? Je vois bien de quel genre tu es. Tu ne supporterais pas qu’on me regarde trop longtemps ou qu’on ose m’aborder, si tu n’es pas loin, ça te serait extrêmement désagréable. Je vois très bien. Mais tu sais, si tu es à côté de moi, il y a peu de chances que l’on m’aborde. Les gens ont peur de toi, moi il me trouve étrange. Je crois que tu n’as pas à être inquiet à ce propos.
Shou ferma les yeux, profitant juste du fait que Takuma était près de lui. Il finit par se lever, chancelant, tirant Takuma pour qu’il en fasse autant mais s’appuyant au trois quart sur lui. Bien que son sang se soit arrêté de couler, il en avait perdu beaucoup, il était pâle et fatigué, mais qu’importait, il était là. Il s’appuya sur Takuma et avança vers la porte, boitant un peu. Il voulait sortir d’ici, s’enfuir ne plus penser à cette horreur qu’il avait faillit commettre sous les yeux de Takuma, qu’il aimait pourtant.

Comment pourrais-je ne pas être possessif, Shou, je ne sais que trop bien que d’autres que moi te désirent. Je le sais, parce que c’est ce même désir qui nous a poussé à en être là aujourd’hui. Ce désir que j’ai éprouvé en te voyant pour la première fois. La première fois. J’ai su que tu étais différent. J’ai su que je voudrais te revoir. Mais à ce point ? Je n’aurais jamais imaginé que tu étais à ce point différent, que tu avais cette chose en plus qui faisait que toi, toi, tu arriverais à toucher mon cœur pourtant si bien caché. Et je ne veux pas que quelqu’un d’autre ne prenne ma place. Si tout est parti du désir que j’éprouvais, alors n’importe quel autre, n’importe quel autre personne qui te désire autant que moi est un rival. N’importe quel autre qui pose les yeux sur toi, qui te sourit, qui te parle. Je sais que je suis jaloux. Je sais que je suis possessif, que je te veux pour moi, que je ne veux pas te partager, que c’est difficile à endurer. Mais tu vois, tu ne supporterais pas de me voir de nouveau dans les bras d’un autre. Moi non plus. Ton corps m’appartient tout comme je ferais tout pour que le mien t’appartienne. Ce que tu me demandes est énorme. Renoncer à ce qui régissait ma vie. En même temps, c’est aussi un énorme poids que tu fais peser sur tes épaules. Mais j’y arriverais. J’y arriverais, je n’ai besoin de personne d’autre que de toi. Maintenant que j’ai failli te perdre, je ferais tout pour que plus jamais la tristesse ne traverse tes yeux, pour que tu sois heureux une bonne fois pour toute. Pour que plus jamais personne ne te fasse souffrir. Pas même moi. Si je te fais souffrir, Shou, dis-le moi. Et déteste moi. Si je te fais souffrir, alors je ne mérite plus ton amour, que je ne mérite déjà que si peu.
Takuma s’empressa de se lever, sachant pertinemment que Shou ne tiendrait pas sur ses jambes. A la fois faible et fantomatique, Shou lui paraissait tellement beau, plus beau qu’il ne l’avait jamais été. Plus beau que personne ne l’avait jamais été, pas même lui, pourtant si parfait. Oui. Il y avait maintenant plus parfait que lui. Shou Takahashi. Le seul à avoir su surpasser Takuma Sōma et à avoir su trouver ce semblant de cœur qui d’un seul coup s’était révélé assez immense pour l’aimer tel qu’il l’aimait. Il avait quelque chose que les autres n’avaient pas. C’était simplement lui.
Soutenant Shou avec délicatesse, Takuma eut à peine le temps d’éteindre la lumière et de refermer la porte. Il ne voulait plus retourner dans cet endroit. Le lendemain, lorsque le premier élève se lèvera pour se doucher, il verrait un couteau par terre, et des traces de sang. Mais personne ne saurait jamais ce qu’il s’était réellement passé cette nuit-là. Personne n’imaginerait que tout ce sang était à la fois le témoin d’un acte fou et de la déclaration d’un amour réciproque, plus puissant que tout ce qu’ils avaient pu connaître auparavant. Les gens hurleraient. Ils se poseraient des questions. Mais pas un seul ne saurait. Pas un seul ne saurait que désormais, plus rien ne pouvait plus surpasser l’amour, sentiment pourtant si dénigré, entre deux être si différents. Takahashi Shou et Sōma Takuma.

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